En France métropolitaine, les forêts couvrent 31% du territoire, soit près de 17 millions d’hectares. Véritables poumons pour le règne animal, l’importance de la couverture végétale n’est pas à démontrer. Or, à travers le monde, ces trésors verts doivent relever les défis écologiques et sociaux de demain. Pour pallier notamment au changement climatique, des stratégies doivent être mises en place pour la gestion durable des écosystèmes forestiers, et le maintien de la santé des forêts.
En Février 2021, en France, une pétition est lancée pour arrêter la coupe des arbres dans les forêts de la région de Sénart. Le mouvement prend de l’ampleur, et l’ONF (Office National des Forêts) doit alors donner des explications sur la gestion des zones végétalisée et leur durabilité.
(Forêt, ©Canva)
Cet article vise à mieux prendre la mesure de ce problème et ses enjeux. Il montre aussi le rôle que peut jouer le progrès technologique et scientifique pour mieux comprendre les causes et conséquences de la dégradation de la santé des forêts dans les régions menacées.
Le concept d’une forêt en bonne santé a un attrait universel. Cependant, les écologistes et les gestionnaires forestiers peinent à définir exactement cette notion. Ainsi, à ce jour, il n’existe pas de définition universellement acceptée pour la santé de la forêt.
La plupart des définitions de la santé des forêts peuvent être classées en fonction de leur perspective écologique ou utilitaire. D’un point de vue écologique, la compréhension actuelle de la dynamique des écosystèmes suggère que les écosystèmes sains sont ceux qui sont capables de maintenir leur organisation et leur autonomie dans le temps tout en restant résilients au stress ([1] Edmonds et al 2011, [2] Raffa et al 2019).
D’autre part, la perspective utilitaire soutient qu’une forêt est en bonne santé si les objectifs de gestion sont atteints. Par conséquent, une forêt est malsaine si ces objectifs ne sont pas atteints. Cette définition peut être appropriée lorsqu’il existe un objectif de gestion unique et non ambigu, comme la production de bois ou le maintien des attributs de la nature sauvage. Elle est, cependant, trop étroite lorsque des objectifs de gestion multiples sont nécessaires.
Enfin, d’autres écologistes forestiers intègrent des perspectives à la fois écologiques et utilitaires dans leur définition à deux composantes de la santé des forêts. Premièrement, la gestion saine d’une forêt doit être basée sur ces propriétés physiques intrinsèques (dimension, altitude, climat) . Cela comprend d’y voir une correspondance entre la mortalité de base des arbres et la mortalité observée. Deuxièmement, une forêt saine doit répondre aux objectifs du propriétaire/gouvernementaux, à condition que ces objectifs n’entrent pas en conflit avec la durabilité ([3] Teale et Castello 2011).
De manière intéressante, la santé des forêts est souvent définie selon le point de vue “naturel” de la forêt, ou bien du point de vue des gestionnaires de la forêt. Nous sommes donc en mesure de nous poser les questions : quelles sont ces actions de gestion qui visent à améliorer la santé forestière ? Et pourquoi simplement ne pas toucher aux forêts, solution qui intuitivement paraît la meilleure ?
En 2019, l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) pose les lignes directrices de ce qui se veut être la gestion durable des forêts. Au vu des nombreux incendies de forêts, trop dévastateurs pour les écosystèmes, il fallait une stratégie. Ce document, le “Fire-smart forest management” décrit les méthodes, les régulations et les indicateurs utilisés pour parfaire le remède à la mauvaise santé des forêts.
Parmi ces normes, les explications sur la coupe des vieux arbres. C’est ainsi qu’une vague de coupe d’arbres commence. Vague que l’on pourrait méprendre avec de la déforestation. En effet, le marcheur non averti s’indigne de voir des troncs qui jonchent le sol de sa forêt préférée. Cependant, voici les explications nécessaires à la compréhension de cette mesure.
Une des principales causes de mauvaise santé des zones forestières est le surplus d’arbres et surtout l’abondance d’arbres du même âge. Premièrement, un nombre excessif d’arbres par mètre carré implique d’avoir peu de lumière. Cela entraîne donc peu de fleurs et de végétation basse et finalement très peu de diversité. Dépourvus de bio-organismes, les sols sous ces forêts sont aussi de mauvaise qualité.
Or on sait maintenant que la diversité et la cyclicité des écosystèmes en fait souvent la durabilité. Le deuxième point lié à l’abondance de vieux arbres sont les incendies. Les feux de forêt ne sont pas mauvais en soi. ils participent à la durabilité des écosystèmes, depuis longtemps avant l’Homme. Cependant dans notre cas, si un incendie se déclare, tout est perdu. Le sol n’étant pas bon, rien ne repoussera pas avant très longtemps : le cycle est rompu, la durabilité est restreinte.
(Forêt en mauvaise santé, What is a Healthy Forest ? , ©Jeffco Open SPace, Youtube)
Ainsi, ces deux arguments qui ensemble justifient la coupe de milliers de vieux arbres et le plant de nouvelles pousses. Avoir une différence d’âge des arbres induit une baisse des risques de disparition de la forêt par les incendies et moins de feux de manière générale. Moins d’arbres amène plus de diversité. Elle apporte plus d’espace pour les animaux et les autres dépendants de la forêt (les mousses, les fleurs, la végétation basse). Toutes ces implications en cascade donnent des sols en meilleur état, et donc un renouvellement possible, en d’autres termes : un écosystème durable.
(Forêt en bonne santé, What is a Healthy Forest ? , ©Jeffco Open SPace, Youtube)
Cependant, jauger de la nécessité et de la force des actions de gestions dans une zone d’intérêt, n’est pas une tâche aisée. Pour arriver à leurs fins, les écologistes et les gardes forestiers se servent maintenant des outils informatiques. Ils permettent de visualiser rapidement ces zones ainsi que les sources des problèmes.
Plus que jamais, il est nécessaire pour les décisionnaires écologiques d’utiliser les nouvelles technologies informatiques. Elles permettent d’observer, de comprendre et de prédire les changements multiples dans les régions d’intérêt. Chez Murmuration comme chez pléthore de bureaux d’étude environnementale ou informatique, les images satellites sont la source principale de ces données. En Europe, le programme d’observation environnementale Copernicus a permis l’utilisation de telles images grâce au lancement des satellites Sentinel. Sentinel-2 en particulier, s’est vu attribuer la tâche de fournir aux pays européens des données complètes et actualisées leur permettant d’assurer le contrôle et la surveillance de l’environnement. Pour la question de la santé des forêts, trois indicateurs principaux proviennent du traitement de ces images : le NDVI, le LAI et le FAPAR.
L’indice de végétation par différence normalisée (NDVI) est un indicateur graphique simple. Il peut être utilisé pour analyser les mesures de télédétection. Souvent à partir d’une plate-forme spatiale, il évalue si la cible observée contient ou non une végétation verte vivante.
(Le NDVI d’une forêt de Bretagne en Mars 2021, résolution de 10mx10m)
L’indice foliaire, ou indice de surface foliaire (LAI, en anglais Leaf Area Index), est une grandeur sans dimension. Elle exprime la surface foliaire d’un arbre ou d’un écosystème par unité de surface de sol. Il est déterminé par le calcul de l’intégralité des surfaces des feuilles de la plante sur la surface de sol qu’elle couvre.
(Le LAI d’une forêt de Bretagne en Mars 2021, résolution de 10mx10m)
Cette donnée, le FAPAR, est la fraction du rayonnement solaire entrant dans la région spectrale du rayonnement de la photosynthèse qui est absorbée par un organisme. Cette variable biophysique est directement liée à la productivité de la photosynthèse. Certains modèles l’utilisent pour estimer l’assimilation du dioxyde de carbone dans la végétation. Comme vu précédemment, cette assimilation carbonique est très importante pour comprendre la participation de la zone considérée aux échanges gazeux globaux.
(Le FAPAR d’une forêt de Bretagne en Mars 2021, résolution de 10mx10m)
Grâce à ces images satellites, il est possible de visualiser l’évolution des écosystèmes. Cela permet de conceptualiser les actions à mettre en place. C’est en considérant ces indicateurs, que la gestion des zones forestières peut se faire efficacement.
Les forêts sont les poumons de la Terre, elles sont aussi les réceptacles terrestres de la biodiversité végétale et animale. Or, il y a un manque d’information sur leur gestion, que ce soit en France ou ailleurs. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, laisser une forêt tranquille, n’est pas toujours équivalent à l’aider.
Chez Murmuration nous utilisons ces indicateurs environnementaux pour aller encore un peu plus loin. En effet, la jointure et la corrélation entre ces variables et d’autres indicateurs autant écologiques que sociaux, nous permettent de mettre en exergue les impacts de l’humain sur la biodiversité et l’évolution d’une région végétalisée. Mises en évidence, ces problématiques ont pour objectif d’être les arguments des décisions de demain.
[1] – Edmonds, R.L.; Agee, J.K.; Gara, R.I. 2011. Protection et santé de la forêt.
[2] – Raffa, K.F.; Aukema, B.; Bentz, B.J. [et al]. 2009. Une utilisation littérale de la « santé des forêts » permet de se prémunir contre les abus et les mauvaises applications. Journal de pratique forestière.
[3] – Teale, S.A. ; Castello, J.D. 2011. Le passé comme clé de l’avenir : une nouvelle perspective sur la santé des forêts.
Auteurs : Maël Plantec, Rémi Nassiri